Le 22 mai dernier, Manal Al-Sharif, activiste saoudienne reconnue, prend le volant pour vaquer à ses activités quotidiennes. Elle est arrêtée dans les heures qui suivent, mais la vidéo de son court trajet prendra rapidement d’assaut les médias sociaux.
Moins d’un mois plus tard, une quarantaine de femmes roulent dans les rues de Riyad, la capitale. La campagne spontanée Women 2 Drive commençait, le dernier épisode d’une longue lutte pour la reconnaissance des droits des femmes saoudiennes. Bilan d’un combat de longue haleine pour des libertés fondamentales.
Les femmes et la monarchie
À son arrivée au pouvoir en 2005, le roi Abdullah promet d’intégrer les femmes à la vie économique saoudienne. Il prend une série de mesures destinées à reconnaître certains droits aux femmes.
Il nomme Mme Nora bint Abdullah al-Fayez ministre de l’Éducation, la première femme à accéder à un poste au cabinet. Il ouvre aussi une université mixte, s’engage à prendre des mesures pour contrer la violence domestique et démarre un dialogue national sur l’égalité des sexes. En septembre dernier, le roi annonçait même que les femmes auraient le droit de voter aux élections régionales de 2015. Les groupes humanitaires demeurent toutefois sceptiques.
Yasmeen Hassan est directrice des programmes à Equality Now, une organisation internationale vouée à la lutte contre la discrimination et la violence faite aux femmes. «Les avancées dans le système gouvernemental et éducationnel ne concernent que les femmes les plus riches. Le roi se dit réformiste mais ne réforme qu’à très petite échelle,» dit-elle.
Entre autres, le système de supervision des femmes par les hommes demeure en place. Une femme a toujours besoin de l’accord de son frère, son mari ou même son fils pour voyager, aller à l’école ou se trouver un emploi
«Je n’ai vu aucune réforme significative», ajoute Mme Hassan. «S’il était un vrai réformiste, il y aurait eu des réformes. Ce pays est toujours au Moyen Âge pour ce qui est des droits des femmes».
La lenteur des réformes
Plusieurs facteurs sont évoqués par les organisations non-gouvernementales (ONG) pour expliquer la difficulté d’améliorer la situation de la femme saoudienne. Suad Abudayyeh, correspondante au Moyen-Orient pour plusieurs organismes, dont Equality Now, pointe du doigt le traditionalisme et le conservatisme social. «Le problème vient parfois des communautés. Les fondamentalistes islamistes sont réfractaires au changement et le Roi a peu d’influence sur eux. Il n’a pas réellement la volonté politique de les confronter».
Alia Hogben défend les droits des Canadiennes musulmanes en tant que directrice du Conseil canadien des femmes musulmanes. Elle souligne à quel point il est difficile de faire bouger les choses dans une société aussi profondément patriarcale que l’Arabie Saoudite. « Le Coran est clair au sujet de la subordination de la femme devant l’homme,» dit-elle, «mais cette interprétation ne peut plus s’appliquer aujourd’hui».
Le système juridique saoudien est considéré comme un autre obstacle majeur à toute évolution des droits des femmes. Le droit saoudien est constitué du Coran et des décrets royaux. Dans la pratique, loin d’être neutre et objectif, le droit est dicté par des juges indépendants et libres d’interpréter le Coran comme bon leur semble.
«Les Saoudiens ont besoin de lois civiles. Chaque juge saoudien utilise sa propre perception. Les jugements diffèrent parfois en fonction des régions du pays. Le pays a besoin d’une profonde refonte de son système légal,» dit Mme Hogben.
Les partisans d’une évolution du rôle de la femme saoudienne sont aussi confrontés à une barrière inattendue : la richesse du régime saoudien. Provenant essentiellement de la vente de pétrole (voir l’encadré La richesse pétrolière saoudienne), elle s’avère être une arme efficace contre les défenseurs des droits des femmes.
«Les évolutions sociales viennent des besoins, de la pauvreté. Or, le régime saoudien fourni un bon niveau de vie économique à sa population et s’il n’y a pas de besoin économique, le débat sur les droits et libertés ne démarre pas. C’est tout le développement humain qui en est ralenti à long terme,» dit Mme Hassan. «Le pétrole en Arabie Saoudite est un désavantage pour les femmes», ajoute-t-elle.
Les activistes avancent des solutions pour faire tomber ces difficultés. Outre les pressions internationales et l’action des ONG, Mme Hassan explique que le soutien public d’hommes politique à la campagne Women 2 Drive, que plusieurs encouragent en privé, contribuerait à changer rapidement les mentalités. Ils demeurent malgré tout optimistes. Les évolutions du monde arabe donnent espoir à Mme Abudayyeh : «À cause des révolutions arabes, le peuple saoudien n’acceptera plus les mesures conservatrices ; les progressistes vont se rebeller. En fait, ils ont déjà commencé.»
Picture
Même si l’interdiction de conduire est contestée depuis plus de vingt ans, c’est à l’été 2011, avec Manal Al-Sharif et la campagne Women 2 Drive, que la situation des femmes saoudiennes a attiré l’attention des médias internationaux. Manal Al-Sharif, photo par Abduljalil Alnasser.