Environment

La ruée vers l’ « or de sang »

Boys mining

Les conséquences dévastatrices des mines d’or illégales en Amérique latine

Face à l’augmentation toujours plus rapide de la demande et des prix de l’or dans le monde depuis la crise globale de 2008 et à l’amélioration de la lutte contre la vente illicite de drogues, l’extraction illégale de ce métal précieux dans certains pays d’Amérique latine est devenue aujourd’hui plus rentable que le trafic de stupéfiants.

 

 

Ainsi, la valeur des exportations d’or provenant de mines illégales dépasse celle des exportations de drogue pour le Pérou et la Colombie, pays connus pour être les plus gros fournisseurs de cocaïne dans le monde – selon un rapport publié par The Global Initiative en avril 2016. Par ailleurs, la production non réglementée d’or représente très souvent une part importante de la production d’or totale des pays d’Amérique latine. Selon le même rapport, plus de 80% de l’or provenant de la Colombie ou du Venezuela est issu de mines d’or illégales.

Destruction de la foret

Destruction de la forêt pour extraire l’or à Delta 1, ville minière située à Madre de Dios, au Pérou. Photos: Asociación Huarayo

« La plupart des gens n’ont aucune idée que l’or qu’ils achètent peut provenir de mines d’or illégales où travaillent des enfants nageant dans le mercure » affirme Douglas Farah, consultant américain en sécurité nationale qui a notamment étudié l’émergence des groupes armés et des mines d’or illégales en Amérique Latine pour le compte du Washington Post.

Pourtant, la commercialisation de cet or « sale » est très rentable et alimente une filière criminelle importante, augmentant les conflits dans cette région du monde. Grâce à l’exportation d’or aux Etats-Unis, territoire dépendant fortement de ce métal précieux produit chez leur voisin pour alimenter l’importante demande provenant notamment du secteur joaillier et électronique, les narcotrafiquants latino-américains blanchissent l’argent de la cocaïne.

Cette dépendance nourrie la ruée vers « el oro de sangre », dont les conséquences sont meurtrières, tant pour la planète que pour l’Homme : déplacements de population, déforestation, contamination au mercure, trafic d’être humains, prostitution,… La liste des atteintes au droits de l’Homme engendrée par le développement des mines d’or illégales en Amérique latine.

Des paysages riches en biodiversité profondément menacés

L’une des conséquences les plus évidentes du développement croissant de mines illégales d’or sur le territoire latino-américain est sans doute l’importante déforestation qu’elle entraine. Ce désastre écologique s’accompagne d’une contamination des écosystèmes et des individus par l’utilisation intensive de substances chimiques afin d’extraire et de purifier le métal précieux. Douglas Farah déplore notamment le manque d’éducation des mineurs à ce sujet : « Il n’y a pas de processus éducatif pour que les mineurs comprennent les dommages à long terme que leur activité entraine sur leur santé ». En effet, les mines d’or illégales, usant de techniques de production rudimentaires, polluent l’eau et les sols, par l’utilisation de mercure et cyanure qui affectent les cultures, les animaux et les êtres humains, contribuant ainsi à la destruction d’activités traditionnelles de subsistance telles que l’agriculture et la pêche.

Des enfants et adolescents travaillant dans une mine d’or illégale

Des enfants et adolescents travaillant dans une mine d’or illégale à Madre de Dios, au Pérou.

Les mineurs – hommes, femmes et enfants – travaillant au contact de ces substances toxiques quotidiennement et respirant un air contaminé, ne sont pas les seuls touchés puisque certaines communautés colombiennes habitant près des rivières au Nord du pays ont arrêté de manger du poisson, contaminé par les déchets toxiques provenant des mines.

J’ai interrogé Oscar Guadalupe Zavallos, directeur de l’ONG péruvienne Asociación Huarayo, qui travaille depuis plus de vingt ans à la protection des individus en situation de traite d’êtres humains dans la région minière de Madre de Dios : « On estime extraire 15 à 20 tonnes d’or par an à Madre de Dios. Selon le ministère de l’Environnement, il faut 2,8 grammes de mercure pour obtenir un gramme d’or, ce qui fait une quantité énorme de mercure libérée dans la nature chaque année. Personne ne parle des dommages causés par le mercure, qui peuvent être des dommages invisibles tels que les difficultés d’apprentissage ou les difficultés pour marcher ». Le mercure est hautement toxique pour la santé humaine puisqu’il peut entrainer une inflammation des organes vitaux, des lésions cutanées, une irritation des poumons, des dommages au système nerveux et, très souvent, la mort.

L’exploitation de l’or est l’une des industries les plus destructrices au monde, parce que non réglementée : plus de 167 000 hectares de forêts tropicales ont été détruites, dont en grande partie l’Amazonie, le « poumon de la planète ». Malgré les efforts des pays pour contrôler ces exploitations illégales, qui ont déjà pénétré dans 80 zones protégées d’Amérique Latine, selon la Sociedad Peruana de Derecho Ambiantal, le cadre réglementaire ne suffit puisqu’il n’est pas accompagné d’une surveillance assez poussée.

Les diverses atteintes aux droits humains

Des enfants et adolescents travaillant dans une mine d’orLa ruée vers « l’or de sang » est tout autant dévastatrice pour la planète que pour l’Homme, à commencer par les déplacements forcés de population qui se jouent dans ces régions. Selon le rapport publié par The Global Initiative, en Colombie, 87% des déplacements internes de la population – soit environ 7 millions de personnes – proviennent de zones où l’exploitation minière illégale est forte. En effet, la violence quotidienne présente dans ces dernières oblige la population locale, souvent autochtone, à migrer sous la menace de cartels armés qui souhaitent s’assurer une domination sur les ressources en or. Les personnes qui fuient la terreur des mines d’or sont considérées à tord comme des migrants économiques et aucun programme d’assistance ou de protection ne leur vient en aide.

Les conditions de travail des mineurs sont par ailleurs très préoccupantes. « Depuis 2008, on estime que 50 000 travailleurs de l’or sont venus à Madre de Dios. C’est une quantité importante, qui modifie considérablement l’ordre social et normal d’une région » déplore Oscar Guadalupe avant d’ajouter qu’«avec l’apparition des travailleurs de l’or, se développent aussi les acheteurs d’or, les vendeurs d’alcool, mais aussi les trafiquants de personnes ».

Attirés par des avances monétaires, des vêtements et des outils, les mineurs, extrêmement pauvres, n’hésitent pas longtemps avant de rejoindre les camps miniers transformés en petites villes, mais se rendent rapidement compte qu’en réalité ces cadeaux sont des dettes envers les cartels tenant les mines, les empêchant de quitter celles-ci avant d’avoir tout remboursé. Les mineurs sont alors souvent obligés de s’endetter afin de survivre et « consomment généralement de la marijuana ou de la cocaïne pour résister au travail de nuit » explique Oscar Guadalupe. Ils souffrent de conditions de travail dangereuses, sans assurance maladie ni indemnisation. Ils portent des sacs d’environ 100 kg, de jour comme de nuit, faisant du travail dans les exploitations minières illégales une forme d’esclavagisme moderne.

En Bolivie, environ 45 000 personnes travaillent dans l’extraction illégale d’or, dont quelques 13 500 enfants, près de la moitié étant impayés, d’après The Global Initiative. Selon l’OIT, 20% de personnes travaillant dans les mines d’or illégales en Amérique Latine sont des enfants et des adolescents non-scolarisés, un pourcentage important lorsque l’on sait que ce travail est considéré comme une des pires formes de travail infantile.

Prostituées travaillant dans un camp de mineurs

Prostituées travaillant dans un camp de mineurs.

Ces exploitations entrainent aussi une violation des droits de la femme à travers l’exploitation sexuelle dont elles sont victimes. Selon l’Asociación Huarayo, près de 2 000 adolescentes seraient actuellement victimes d’esclavagisme sexuel dans la région de Madre de Dios. Leur promettant un emploi de cuisinière ou encore de serveuse, les femmes, souvent très jeunes – dès 12 ans – sont attirées sur les camps pour travailler dans des maisons closes et des bars. Les risques de tomber enceinte ou d’être atteinte du VIH sont très élevés pour ces jeunes filles.

Le crime organisé et l’augmentation des conflits

Beaucoup plus rentable et fiable que le commerce illégal de drogue, les membres des cartels de drogue se sont ainsi accaparés le commerce de l’or latin en prenant de force le contrôle des étendues de terre éloignées de l’attention du gouvernement – soit en contrôlant directement les mines, soit en extorquant les propriétaires des mines. En Colombie, on estime que plus de 44 réseaux criminels sont fortement impliqués dans l’extraction illégale d’or qui se déroule dans le pays. Ce sont souvent des groupes de guérillas ou encore des groupes paramilitaires d’extrême droite.

Selon Olivier Demierre, responsable du Corporate Social Responsability chez MKS PAMP, groupe suisse de services industriels et commerciaux spécialisé dans tous les aspects du secteur des métaux précieux, « Il y a un intérêt pour les narcotrafiquants, soit de se diversifier dans l’or soit d’utiliser l’or dans leurs ‘circuits commerciaux’ ». Ce fructueux commerce leur permet de financer leur groupe et d’obtenir des armes, mais aussi de blanchir l’argent provenant de la vente de cocaïne. En effet, certains membres des cartels utilisent cet argent pour financer l’extraction illégale de l’or qui sera, après avoir été extrait et traité localement, revendu à des raffineries aux États-Unis, au Canada ou en Suisse, pour être purifié avant d’être vendu sur les marchés internationaux.

Jovenes en mineria artesanalIl est important de noter que des initiatives existent pour enrayer ce trafic, bien qu’il soit tenace. Par exemple, « l’initiative suisse « Better Gold » dans laquelle MKS PAMP est impliqué a pour objectif de relier des mines ASM responsables d’Amérique du Sud – Pérou, Colombie, Bolivie – avec la Suisse, utilisateur d’or dans le cadre financier, de la production de bijoux et de montres » m’apprend Olivier Demierre, ce qui permet d’améliorer le sort des mineurs et de soutenir leurs pratiques responsables.

Quelles solutions ?

A différentes échelles, les acteurs locaux, gouvernementaux, privés et de la société civile tentent d’éradiquer ce phénomène ou du moins de réparer les dommages causés aux droits de l’Homme. Ainsi, plusieurs initiatives gouvernementales ont vu le jour ces dernières années afin de répondre à l’accroissement des exploitations minières illégales. En Colombie, une brigade contre la mine illégale a été mise en place par le gouvernement avec pour principale mission la destruction du matériel servant aux narcotrafiquants à extraire l’or.

« Malgré qu’il existe plusieurs lois pour empêcher l’exploitation des travailleurs, les mines d’or illégales et l’environnement, personne ne les respecte en Amérique latine » signale Oscar Guadalupe.

Il y a trois ans, notamment face à la recrudescence de l’exploitation des adolescentes dans la région minière de Madre De Dios, son association a ouvert un refuge pour les écouter et les protéger. « Dans notre centre, il y a actuellement 15 jeunes filles, mais il y en a tellement d’autres qu’on ne peut sauver parce que les trafiquants les cachent dans la forêt. De plus, les camps sont fait de plastique, ce qui est facile à reconstruire ailleurs, là où les policiers ne sont pas ».       

Oscar Guadalupe met par ailleurs l’accent sur un point sensible : « Il faut que les grandes entreprises assument leur responsabilité sociale ». Par exemple, mettre au coeur de leur travail la dimension sociale et environnementale est essentiel chez MKS PAMP, qui est soumise, en tant que raffinerie, à l’autorité du London Bullion Market Association (LBMA) dans tout ce qui touche au respect des règles de l’approvisionnement responsable. « Ces règles incluent principalement le fait de connaitre l’origine du métal que l’on achète, de prévenir les conflits et de s’assurer du respect des règles contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme » explique Olivier Demierre. Par ce biais, MKS PAMP applique des procédures strictes afin de ne pas être mêlé aux activités de mines illégales et contribuer à rendre leurs débouchés le plus étroites possibles, mais il déplore « qu’il y ait malheureusement toujours des débouchés pour de l’or issu de mines ou de chaines d’approvisionnements liés à des pratiques non responsables ». 

Pour Douglas Farah, la solution est à chercher à l’échelle mondiale, par plus de cohésion au sein de la communauté internationale : « Cela devrait être facile de former un consensus international sur cette question car tout le monde est d’accord pour dire que le travail des enfants, l’ empoissonnement des rivières, la destruction de l’Amazonie, l’esclavagisme sexuel sont mauvais, mais il n’y a pas d’uniformité politique dans les organismes internationaux, ce qui empêche de faire avancer les choses ». 

Author
Camille Loyer