Part.1 : Etat des lieux du « child labour » en Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire est un pays dont l’économie repose principalement sur ses plantations de cacao qui représentent 40% de la production mondiale et dont la majorité est exportée vers l’Europe ou les Etats-Unis. Pourtant, au pays du cacao, on ne mange pas de chocolat et ce produit est considéré comme luxueux par les planteurs précaires aux conditions de travail très difficiles. De plus, dans ce pays d’Afrique de l’ouest, les plus jeunes sont exploités et au moment de la récolte, plus d’un quart des enfants de cinq à quatorze ans du pays travaille pour contribuer au revenu de leur famille. La moitié d’entre eux ne va pas à l’école et travaille du matin au soir. Ils sont exposés aux pesticides, aux piqures d’insectes, se blessent en utilisant les outils et souffrent de maux de dos.
En 1999 est signée la « Convention C182 sur les pires formes de travail des enfants » et parmi elles se trouvent « les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant. ». Depuis quelques années, les ONG de défense des droits des enfants comme UNICEF ou Care International pointent du doigt des groupes tels que Nestlé, Haus ou Hershey ‘s accusés de profiter du travail forcé des enfants. Néanmoins, ces entreprises mettent en avant leur volonté de lutter contre l’exploitation des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Part.2 : La promotion d’un cacao durable
Yann Wyss travaille à Genève en tant que responsable des affaires publiques chez Nestlé. Lors de notre entretien, il nous a expliqué que l’entreprise mettait tout en œuvre pour lutter contre l’exploitation des enfants dans les plantations de cacao et ce par le biais de ses deux partenaires, la Fair Labour Association et International Cocoa Initiative (ICI). En 2012, Nestlé affirme avoir eu une réelle prise de conscience dû à plusieurs éléments au niveau international avec notamment le développement des problématiques relatives à la question des droits humains.
Ainsi, c’est en collaboration avec ICI que la firme a mis en place ce qu’ils ont nommé le « child labour monitoring and remediation system » (CLMRS). Ce programme a pour ambition de réduire la réalisation de travaux dangereux par les enfants dans les plantations de cacao par la prévention contre les risques du child labour et la formation d’interlocuteurs au niveau local.
« Dans chaque communauté dans lesquelles on s’approvisionne, on a un agent de liaison communautaire » nous a expliqué Yann Wyss. « Ce sont des personnes endogènes qui sont dans le village et connaissent bien la communauté ». Le CLMRS est un réseau reliant les planteurs à Nestlé par le biais de ces agents de liaison qui travaillent en collaboration avec ICI et ont pour mission de signaler toute situation pouvant mettre l’enfant en danger. Selon Yann Wyss, il faut avant tout que les gens comprennent pourquoi le travail des enfants est un problème car finalement, beaucoup de personnes en parlent sans jamais prendre le temps d’expliquer aux familles ce que cela veut dire. L’objectif de ce programme est de sensibiliser tous les parents et tous les enfants aux dangers du travail des enfants et à l’impact négatif à long terme qu’il peut avoir sur leur développement.
Afin de réaliser un travail de sensibilisation, l’organisation ICI a également développé de nombreux outils tels que la mise à disposition d’affiches. De plus, le gouvernement doit jouer un rôle important et il est nécessaire qu’il reconnaisse que le travail des enfants existe afin de mettre en place des mesures pour lutter contre comme la construction d’écoles à proximité des villages les plus isolés ou la création d’un réel système de contrôle et de protection des enfants dans les plantations de cacao. Des classes passerelles ont également été mises en place pour que les enfants de neuf ans qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école rattrapent leur retard avec des programmes adaptés. Il y a donc non seulement une nécessaire collaboration entre les communautés locales dans lesquelles le cacao est produit et les entreprises mais aussi avec le gouvernement ivoirien.
Enfin, ICI met en évidence le fait que le travail des enfants est la conséquence de variables sur lesquelles il est important d’agir. L’une des plus évidente est le manque de moyens économiques qui rend la présence des enfants dans les plantations de cacao indispensable. En effet, quand les enfants sont à l’école, ils ne travaillent pas dans les fermes et de nombreux agriculteurs n’ont pas les moyens d’engager une aide extérieure faisant ainsi souvent appel à leurs enfants, en particulier pendant la saison des récoltes. Par conséquent, il est nécessaire de mettre en place des activités génératrices de revenus pour les familles.
Part.3 : Vers un accompagnement compréhensif
Alfred Babo est originaire de la Côte d’Ivoire et vit maintenant aux Etats-Unis dans le Connecticut où il exerce son métier de professeur de sociologie et d’anthropologie à la Fairfield University. Selon lui, le danger est d’aborder la question du travail des enfants dans les exploitations de cacao à travers une vision occidentalo-centrée sans prise en compte des critères moraux et éthiques de la Côte d’Ivoire. Si l’Organisation internationale du travail présente le child labour comme une forme d’esclavage, il convient de se méfier des jugements de valeur non accompagnés d’une réelle analyse des mœurs de ces communautés.
ICI insiste sur le fait qu’il faut avant tout savoir ce qu’on appelle un « enfant » en Côte d’Ivoire. En effet, leurs notions d’enfance et de travail diffèrent de celles de l’universalisme des organisations internationales. Il est indiqué à l’article 31 de la Charte Africaine pour les droits et le bien-être de l’enfant que « l’enfant doit avoir le droit de travailler pour la cohésion de la famille, de respecter ses parents, ses supérieurs, ses aînés à tout moment et doit les assister en cas de besoin ».
Ainsi, des travaux ont été réalisés en 2007 par le gouvernement ivoirien visant à promouvoir une meilleure compréhension du problème du travail des enfants. Ces études ont convaincu les principaux importateurs de cacao tels que l’Europe et les Etats Unis de passer d’une logique de sanction avec la menace d’une mise en place d’embargos à une logique compréhensive d’accompagnement et d’amélioration des conditions de vie des enfants des ménages producteurs de cacao.
ICI insiste sur le fait que la place de l’enfant est à l’école qui par ailleurs est obligatoire pour tous les jeunes ivoiriens âgés de six à seize ans. Néanmoins, M.Brou Allatin nous a expliqué qu’il était favorable à une prise en compte à la fois des normes internationales mais aussi des mœurs des communautés et il est possible pour lui que l’enfant aille aux champs sous certaines conditions. C’est uniquement les jours de congés que ce dernier est autorisé à accompagner ses parents et ce dans un strict respect des différentes règles de sécurité.
Scolarisation, travail au champ et travaux domestiques sont souvent envisagés comme complémentaires et non de façon exclusive et Nestlé insiste sur le fait que l’objectif du programme n’est pas de retirer les enfants du système rural. Ainsi, les enfants continuent d’accompagner leurs parents dans les champs, qu’il s’agisse d’enfants scolarisés ou non. C’est donc sur la distinction entre travaux dangereux et travaux socialisants que l’entreprise et les organisations avec lesquelles elle travaille insistent dans leur programme. Les taches dangereuses ont été répertoriées par le ministère de l’emploi et de la protection sociale de République de Côte d’Ivoire dans l’arrêté du 2 juin 2017 qui définit la liste des travaux légers autorisés aux enfants dont l’âge est compris entre treize et seize ans.
En conséquence, privilégier la solution du retrait total des enfants des plantations de cacao et de la scolarisation systématique apparaît inadapté et inefficace. L’école et le travail aux champs doivent être compatibles et dans cette logique, c’est aussi sur l’amélioration des conditions de travail des enfants dans les plantations de cacao que les ONG devraient se pencher. Les solutions pour lutter contre le travail des enfants ne sont pas isolées et cela fonctionne dans un ensemble. Ce sont des modèles alternatifs adaptés aux modes de vie des communautés dont la Côte d’Ivoire a besoin.
Part.4 : La scolarisation, et après ?
Le centre de recherches pour le développement international a identifié une inadéquation entre la formation académique et les besoins du marché du travail. Un petit groupe éduqué lutte pour le peu d’offres d’emplois au sein du gouvernement, des grandes sociétés privées ou des sièges d’organisations internationales. Ceux qui ont pu bénéficier de programmes d’études à l’étranger sont souvent choisis pour ces postes très convoités. Pour les autres, il est difficile de trouver un travail à la hauteur du diplôme, du temps et de l’argent investis. Découragés, certains jeunes préfèrent sortir du système éducatif et bien souvent, ils se désintéressent du métier de leurs parents et souhaitent migrer vers les grandes villes du pays.
Or, le PIB de la Côte d’Ivoire étant totalement soutenu par cette économie agricole, ce domaine regorge d’opportunités. Nestlé pense avoir un rôle à jouer par le biais de ses agronomes sur le terrain et l’objectif est de développer le secteur et d’en améliorer les conditions de travail. Ainsi, certains parents préfèrent assurer à leur enfant la garantie d’un revenu futur en leur procurant la formation nécessaire pour travailler dans les plantations de cacao que ne fournit pas le système éducatif.
En effet, le problème est que, si de nombreuses organisations ont mené d’importantes actions de promotion de la scolarisation des enfants en Côte d’Ivoire, la question du futur de ces générations reste en suspens. L’entreprise Nestlé souhaite mettre en place un réel suivi des enfants scolarisés et l’idée n’est pas de les laisser tomber une fois le cursus achevé.
Yann Wyss explique qu’ « un système d’apprentissage a été mis en place auprès des communautés afin de voir quels sont leurs besoins et comment orienter les enfants une fois sortis de l’école ». Des stratégies sont prévues pour que les enfants sortis du système puissent le réintégrer d’une autre manière. Par exemple, une formation professionnelle peut être proposée aux jeunes âgés de quatorze à seize ans. Néanmoins, il faut noter que ces centres de formation ne sont pas dans les villages mais dans les chefs-lieux des départements, l’enfant se retrouve à devoir quitter sa communauté pour venir apprendre un métier et le coût financier est très élevé.
Finalement, selon Alfred Babo « les générations qui viennent continuent de voir l’école et l’agriculture comme des composantes qui doivent se combiner et non se séparer et il est important de trouver un juste milieu et de faire en sorte que les normes internationales non seulement s’appuient mais aussi prennent une portion des normes locales ».
Héloïse Pimont-Farge
« Etudiante française à Sciences Po Lille sensible au monde qui m’entoure et convaincue de la nécessité de mettre en place des projets de développement dans les pays en difficulté, j’aimerais intégrer le master Conflits et Développements l’année prochaine afin de travailler dans le domaine du droit international humanitaire. Intéressée par les relations internationales, j’intégrerai au semestre prochain l’Université China Foreign Affairs de Pékin pour cinq mois. »